L’émail d’Art sur métal est une technique dont on retrouve les premières traces dans l’Égypte Antique. Cet émaillage, qui est à différencier de l’émaillage de la céramique, s’applique sur des métaux nobles. Cette technique n’a eu de cesse d’évoluer, à travers le temps et nous parvient aujourd’hui grâce aux quelques émailleurs d’Art qui continuent de la faire exister. Car si en France, tout le monde connaît les porcelaines de Limoges, les Émaux de Limoges ont été oubliés.
Rencontre avec Laetitia, fondatrice des émaux Arédiens. Elle nous raconte son parcours d’émailleuse d’Art sur métal.
Laetitia, comment s’est déroulée votre rencontre avec le métier d’émailleuse sur métaux ?
Dans la région de Limoges, l’histoire des Émaux remonte au Moyen Âge. Lorsque j’étais petite, on trouvait partout, dans toutes les maisons, des papillons, des tableaux, des objets, en émaux. Il y avait une tradition où on offrait des pièces en émaux pour les mariages, les baptêmes, etc. J’ai donc grandi avec cet art, mais je ne l’ai pratiqué que beaucoup plus tard, lors de ma reconversion professionnelle. J’ai été faire une initiation à la Maison des Maîtres (qui n’existe malheureusement plus) et je me suis rendu compte de tout ce que permettait l’art des émaux. Entre le travail du métal qui ne peut être que sur des métaux nobles (cuivre, or ou argent), les possibilités de découpe, de martèlement, de mise en forme. Il y a déjà beaucoup de formes possibles, rien qu’en travaillant les métaux. Ensuite, il y a l’émail. L’émail que nous utilisons est de l’émail de bijoutier. C’est un cristal qui est concassé. Ça ressemble à des petits tas de sable coloré qu’on va broyer, nettoyer. On le dépose humide, à la spatule, à l’aiguille ou au pinceau. On peut faire du bijou, du tableau, de la pièce de forme (des vases par exemple). C’est vraiment ça qui m’a plu, la possibilité de faire des choses très originales ! Et puis c’est un Art qui évolue en permanence ! Au départ, mon objectif était de rendre accessible l’émail au plus grand nombre ! Peu importe la classe sociale ! Donc je faisais beaucoup d’objets utilitaires, sur demande. Malheureusement, il est financièrement difficile de s’en sortir de cette façon. Quand on s’intéresse à l’histoire de l’émail, on se rend compte que cet art était très lié aux rois, à la religion. Du fait de son coût, l’émail s’est principalement développé grâce au mécénat.
Vous disiez que c’est un art qui évolue en permanence. Aujourd’hui, quelle forme prend cette évolution ?
Moi par exemple, j’ai développé des tableaux en trois dimensions ce qui permet d’avoir de l’émail un peu moins plat. Il s’agit de superposer, en volume, les couches d’émail et de métaux, sans colle, ni clous, ni vis ! Pour les premiers, je faisais les différents émaillages sur chaque niveau et lorsque je passais à l’assemblage ça cassait. Je pouvais travailler deux mois sur une pièce qui finissait par casser au dernier moment ! Avec le temps et après de nombreuses tentatives, j’ai réussi à faire tenir des couches d’émail en superposition, une innovation technique dans l’Art de l’émail ! L’émail superposé s’apparente à la sculpture. Ce qui est intéressant avec l’émail, c’est qu’il y a de multiples techniques de base, à partir desquelles on peut innover et en développer de nouvelles. Et ce, depuis toujours !
Par exemple :
- la grisaille, tout à l’aiguille, on dépose le blanc de Limoges sur une plaque de métal recouverte d’un émail de couleur foncée (noir, bleu foncé, violet…)
Grisaille et émail peint sur feuille d’argent
- le cloisonné, on dépose des cloisons de métal et on incorpore l’émail entre les cloisons,
- l’émail peint, on reproduit un paysage ou un portrait à la manière d’un peintre. Cette technique demande plusieurs superpositions, à plat, de couches d’émail pour obtenir un bon rendu.
Je fais beaucoup d’émail peint. La technique a été inventée à Limoges et elle est reconnue dans le monde entier. J’utilise aussi la technique du plique à jour, cela donne comme de mini-vitraux. On creuse des trous dans le métal et on incorpore l’émail. Le temps de travail est assez important. Je travaille beaucoup avec l’émail transparent et c’est une matière qui suppose énormément de soin, d’attention et de nettoyage afin d’obtenir un émail clair.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Difficile à dire … C’est assez vaste ! Ce que je cherche avant tout, c’est repousser les limites de l’émail. J’aime bien chercher des choses inédites. Je suis beaucoup dans l’expérimentation, tout en cherchant quelque chose de très contemporain, d’original. L’émail a beaucoup été catalogué “traditionnel”. Faire perdurer l’art de l’émail comme l’ont fait les anciens, par l’originalité et la nouveauté est primordial. Cela dit, ce qui est magique en émail, c’est la transformation de la matière au four ! C’est vraiment un instant tout à fait particulier et plein de suspens. C’est rare d’obtenir ce qu’on avait imaginé initialement… En fonction de la couleur du fond, du métal, de la base d’émaillage, une même couleur ne se comporte pas de la même façon et n’a donc pas le même rendu final. Les anciens émailleurs disent qu’il faut dix ans pour acquérir la simple connaissance de la matière émail !
Existe-t-il des artistes, artisans, courants esthétiques qui vous parlent tout particulièrement ?
C’est assez diversifié. Les artistes comme Dali, avec un côté excentrique, me plaisent beaucoup, lorsque je travaille avec l’émail peint et notamment sur les triptyques. L’art de l’émail a toujours été une tradition de l’imitation. À l’origine, les émailleurs reproduisaient les anciennes gravures des églises en utilisant les émaux. Aujourd’hui, je m’inspire d’artistes plus contemporains, par exemple Amaury Dubois, artiste peintre français. À la différence des anciens émailleurs, je mets toujours à l’arrière de mes triptyques le nom de l’artiste, dont je me suis inspirée. Je suis très attirée par les couleurs, leur intensité. Lorsque je regarde un tableau, j’essaie toujours de voir ce que je pourrais en tirer en émail. Le regard que l’on développe avec la pratique de l’émail, se porte particulièrement sur la profondeur. Celle-ci est vraiment intéressante quant à l’émail. Par exemple, quand vous mettez une couche de rouge puis une couche de vert, le regard traverse ces différentes couches, et est empreint différemment. Quand je me promène dans une exposition, c’est cet aspect que je regarde, que ce soit dans l’idée de reproduire en émail des sculptures, des peintures ou d’autres techniques.
Qu’est ce que ça vous fait ressentir quand vous êtes dans le travail de l’émail ?
C’est vraiment le côté infini des possibles qui m’emporte. Il y a par exemple le rendu des couleurs : car si vous travaillez sur du cuivre ou de l’argent ; si vous avez teinté votre fond de noir ou de blanc ; tout cela a une incidence sur le rendu des couleurs et leur transparence. Par exemple, avec une même couleur transparente, que vous allez mettre sur un fond de cuivre va être beaucoup moins lumineuse que sur un fond d’argent. C’est pour cette raison que je travaille énormément les bijoux sur feuille d’argent. Cela me permet de ramener de la lumière.
Comment sélectionnez-vous vos matières premières ?
Pour l’émail, il n’y a malheureusement plus que trois usines dans le monde, car il y a de moins en moins d’émailleurs. Il n’en reste qu’une seule, en France, qui est à Limoges. Ce sont les émaux soyer de la cristallerie Saint Paul. L’art de l’émail est de moins en moins connu. Il ne peut se réaliser qu’avec des matières nobles et demande beaucoup de temps de travail. Or, cela a un coût qui n’est pas à la portée de tous… Avant, les gens de la région achetaient volontiers des objets en émail, car c’était la tradition, mais avec le temps, cette tradition s’est perdue. Les nouvelles générations ne connaissent pas l’Art de l’émail sur métaux. Il n’y a qu’à Limoges que la transmission persiste tant bien que mal. L’émail est intrinsèquement mêlé à l ‘histoire de la ville. Cependant, il n’y a plus d’ateliers collectifs et de moins en moins d’émailleurs. Nous ne sommes plus que quelques émailleurs indépendants qui nous débrouillons comme nous pouvons. En France, tout le monde connaît les porcelaines de Limoges mais les Émaux de Limoges ont été oubliés. Parallèlement, l’essor du plastique a amené des formes très proches de ce que nous pouvons produire avec l’émail et la méconnaissance du public de cette matière rendent les coûts incompris. Ce qui est étrange, c’est que les Émaux de Limoges sont mieux connus à l’étranger qu’en France. Il y a des pièces dans beaucoup de musées, ce sont aujourd’hui plutôt les institutions étrangères qui financent cette pratique.
Vous nous disiez tout à l’heure que le contexte socio-économique des émailleurs était difficile. Comment vous en sortez-vous ?
J’ai la chance d’avoir été appelée à l’école des émailleurs d’art de Limoges. Celle-ci est unique en France et bien sûr, ça me permet une certaine liberté. Je fais aussi beaucoup d’ateliers d’initiations pour sensibiliser et faire connaître l’émail. Sur le côté artistique, je travaille beaucoup en boutiques collectives avec des artisans divers et variés. Et j’ai très envie d’aller vers des choses plus abstraites, plus artistiques et moins utilitaires.
Comment peut-on aider les émailleurs de France ?
Il y a quelque temps, nous avons relancé le Syndicat des émailleurs de France. Nous avons réussi à faire inscrire l’émail comme patrimoine national immatériel(français). La prochaine étape est de le faire reconnaître dans le cadre international au patrimoine mondial de l’UNESCO pour continuer de le préserver. Le métier d’émailleur est réellement en danger. Ne serait-ce que par le nombre de cristalleries qui fabriquent encore l’émail. Si elles disparaissent, nous n’aurons plus de matières premières. C’est un syndicat qui lutte pour faire perdurer cet Art. Il est possible de soutenir ce syndicat et ses actions. L’une de nos actions est de relancer la Biennale de l’Émail Internationale. Dans le passé, c’était un événement majeur à Limoges, et de renommée internationale. Mais avec la disparition des émailleurs et des usines, cet événement a cessé. Relancer la Biennale grâce au financement participatif nous permettra de faire à nouveau parler de l’émail et de sensibiliser le public à cet Art. Les dons et le bouche à oreille concernant la Biennale seront donc les bienvenus !